[1.01] Et si une présidentielle ne suffisait pas ?
L'élection présidentielle a beau être le scrutin le plus important dans nos institutions, l'expérience récente montre qu'elle ne tranche pas toujours grand chose.

Salut !
C’est le tout premier épisode de Blocs & Partis ! Le stress est là, nous ne le cachons pas. Merci à vous d’être déjà au rendez-vous. Ce projet, qui me tient à coeur, est, si non une ébauche, en tout cas encore très flexible. Je suis donc évidemment preneuse de vos précieux retours, sur la forme comme sur le fond.
Cette semaine, alors que l’on parle plus que jamais d’élections anticipées voire d’une présidentielle anticipée, je reviens sur les espoirs à mon avis démesurés que l’on place dans le prochain rendez-vous présidentiel. Comme chaque semaine, la chronique est disponible à l’écrit mais aussi en podcast juste ici ⤵️
Pour rappel, Blocs & Partis, les chroniques de la Ve République tardive, est publiée un jeudi sur deux. Pour celles et ceux à la recherche d’une analyse renouvelée de la scène politique française, de ses dynamiques et de ses métas. C’est aussi ma sélection d’infos ou d’éléments qui ont retenu mon attention et un terrible jeu : “La Carte électorale perdue”. La publication est pour le moment gratuite, mais vous pouvez aussi soutenir mon travail en souscrivant à un abonnement payant.
La chronique
Ça m’a frappée, il y a quelques jours, alors que j’étais attablée avec un énième député qui m’expliquait par A + B le plan censé porter inévitablement son candidat préféré à la présidence de la République, en 2027, ou avant. L’antienne est reprise comme une évidence, par nombre de politiques, mais aussi dans les médias : vivement la prochaine élection présidentielle qu’on puisse remettre les choses au clair. Et si ça n’était pas le cas ?
Et qui plus est depuis la démission de Sébastien Lecornu, les trente-cinq jours d’une campagne présidentielle anticipée pourraient-ils suffire ?
Je ne blâme pas ces élu·es qui concentrent toute leur énergie vers la prochaine présidentielle : la situation est bloquée, en partie parce que cette perspective électorale majeure fige le jeu parlementaire, certes. Mais ils ne font que jouer avec les règles institutionnelles qui sont les nôtres, celles de la Ve République. Si, le 10 septembre, les gens descendus dans la rue l’ont en partie fait à cause d’une démocratie qui fonctionne mal, on ne peut pas dire qu’il existe un profond mouvement dans le pays pour remplacer la Ve République. Donc, ça continue.
Mais revenons à cette “évidence” : la présidentielle est l’élection clé de nos institutions, elle seule est capable de remettre les choses à l’endroit. C’est, depuis des décennies, le plus mobilisateur des scrutins, souvent de loin. C’est le principe de la Ve République : l’élection du chef de l’Etat au suffrage universel direct lui offre une légitimité politique sans pareil dans le pays. Un effet de souffle qui, à deux exceptions près, a toujours permis au président de la République de bénéficier d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale lors des législatives suivantes.
L’argumentaire a sa logique mais fantasme pas mal le prochain rendez-vous présidentiel. Comme si cette campagne devait, naturellement, être pure et parfaite, avec tout le temps nécessaire pour poser tous les débats de fond qui traversent le pays. Comme s’il n’y avait jamais d’imprévus, intérieurs ou extérieurs, qui percutent, plus ou moins fortement, les campagnes électorales.
Celle de 2022 l’a bien prouvé : la campagne a été complètement modifiée par l’invasion russe en Ukraine. Elle a permis à Emmanuel Macron de déserter la campagne jusqu’au soir du premier tour, tout en profitant du “ralliement autour du drapeau”. C’est en pleine flambée dans les sondages que le président-candidat organise d’ailleurs sa grande conférence de presse pour présenter son programme - une de ses rares incursions dans la campagne avant le 10 avril - où il annonce son projet de retraite à 65 ans.
Je me suis toujours demandée si les macronistes n’avaient pas profité du contexte sondagier, et d’une élection qui paraissait alors gagnée de la tête et des épaules, pour charger la barque d’un programme non débattu. Un programme revenu en pleine figure à Emmanuel Macron dès le lendemain du premier tour, lors de son déplacement à Denain (Nord), où, pendant d’un très long bain de foule, il a ployé sous la détresse des électeurs et électrices face à la perspective de travailler trois années de plus. Le soir même il annonçait réviser sa proposition à 64 ans. Trop tard : au second tour face à Marine Le Pen, il ne s’agissait plus d’une élection projet contre projet, mais du front républicain.
Et même sans aller jusqu’à une campagne escamotée, les élections au résultat ambigu, ça existe aussi. Quant à l’idée que le prochain ou la prochaine présidente aura mécaniquement au lendemain de son élection une majorité absolue à l’Assemblée, elle relève, à cette heure, de la pensée magique. Dans un monde politique tripolaire, qu’attend-t-on d’une présidentielle dont la finale ne se joue qu’à deux ? On fera quoi ? On attendra 2032 en espérant que ?
Si on y regarde de plus près, la surprise serait que la prochaine élection présidentielle soit politiquement décisive. Quand on se retourne sur la vie politique française depuis vingt ans, quel est le dernier scrutin majeur où l’on a vraiment tranché entre deux visions du pays, dans une campagne longue, passionnante et passionnée, où de nombreux sujets ont été abordés sans trop de turbulences ?
Moi, je remonte à 2007. Une participation massive, des candidat·es d’une nouvelle génération, qui suscitent un engouement réel. Des projets de société au moins identifiables et distincts. Et puis une victoire claire, ça aide. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas là de dire “c’était mieux avant”.
Faisons la revue des présidentielles suivantes : on est déjà revenu sur 2022 et sur les second tours avec Marine Le Pen qui n’ont acté que le rejet toujours massif d’une victoire de l’extrême droite. Nécessaire, mais insuffisant ; en 2017, les affaires dominent, pour la première fois depuis 1969 l’abstention progresse entre les deux tours, 4 millions de personnes qui se sont rendues aux urnes votent blanc ou nul (11,5 % des votants) ; même si c’est peut-être moins clair, j’y ajoute aussi, malgré tout, 2012, où domine l’anti-sarkozisme, François Hollande fait campagne sur le frein à main pour gérer la lente mais constante réduction de son avance dans les sondages.
Rendez-vous compte : près de vingt ans sans grand débat de société tranché de manière démocratique. Evidemment que la cocotte est en surchauffe. Les trois dernières élections présidentielles n’ont pas accouché de présidents moins légitimes que les précédents. Mais leur capital politique était entamé dès le départ. Et de plus en plus.
Vivement la présidentielle providentielle ? Peut-être. Le pire n’est jamais sûr : les choses peuvent aussi bien se passer. Mais il nous faut avoir la lucidité de reconnaître qu’on peut être aussi beaucoup plus proche de la magnifique mais dramatique tirade d’Amélie Dorandeu (Anna Mouglalis) dans le 4e épisode de la saison 3 de “Baron Noir” :
“Vous savez ce qu’on attend de moi ou de n’importe quel autre président ? Tout régler. Tous les cinq ans un fol espoir naît, et de plus en plus vite une immense déception lui succède. Et d’espoirs forcément déçus en espoirs forcément déçus, on se tourne vers des profils providentiels, de plus en plus anti-système, on remet en cause les contre-pouvoirs et c’est tout le système démocratique qui finira par être victime du présidentialisme.”
Choses vues
Avant c’est pas après // Bon, difficile de vous faire une synthèse de la situation politique qui ne serait pas périmée dans l’heure. Blocs & Partis est de toute façon une newsletter bimensuelle, ça n’aurait pas trop de sens et puis il y en a déjà de très bien. Une réflexion générale quand même : en pleine confusion, parfois entretenue par les acteur·ices politiques eux-mêmes, ne faisons pas semblant de prendre toutes les positions prétendument inflexibles au pied de la lettre. Nous sommes avant : avant un nouveau gouvernement ou avant une dissolution. Chacun gonfle ses muscles, tente de se créer ou de sauvegarder son espace. Annoncer par exemple une censure avant la formation d’un exécutif de gauche sans LFI, c’est très simple, mais ce n’est pas la même question que quand ce gouvernement est effectivement formé. Dire que jamais, oh grand jamais il n’y aura plus d’alliance électorale d’aucune sorte avec tel ou tel, c’est une chose avant, c’est une autre chose après la dissolution. Pas que tout le monde ment, d’abord parce que certaines positions resteront les mêmes mais la situation est mouvante. Réfléchir à la dissolution est une circonstance totalement différente du jour où elle est décrétée. Le 9 juin 2024 nous l’a radicalement montré.
Gros bougé // L’interview d’Elisabeth Borne dans Le Parisien, mardi soir, où elle propose de suspendre sa réforme des retraites de 2023, quoi qu’il en advienne, a quelque chose de sidérant. Mais ne fait que confirmer que l’issue de cette bataille a été la définition même d’une victoire à la Pyrrhus. Si on en croit Wikipedia, il s’agit d’une “victoire obtenue au prix de pertes si lourdes pour le vainqueur qu’elle équivaut quasiment à une défaite”. Depuis le printemps 2023, le coût politique de cette réforme, et de la manière dont elle a été imposée, fait l’objet d’un déni profond du bloc central. Le refus répété de, en quelque sorte, “prendre sa perte” a déjà couté horriblement cher au camp présidentiel et ce n’est peut-être pas terminé : après trois échecs gouvernementaux retentissants, les macronistes ont-ils vraiment le choix de dire autre chose qu’“amen” à une équipe de gauche ?
Les calculs sont pas bons // Les politiques comprennent-ils bien le fonctionnement des élections auxquelles ils se présentent ? Parfois, on en doute. L’hypothèse d’une dissolution a en tout cas été l’occasion de ce off rapporté sur Twitter (oui) par mon confrère de L’Opinion Antoine Oberdorff :
“LFI et EELV se soutiendront sur les sortants. EELV et PS aussi. Mélenchon mettra des candidats partout là où il y a des sortants PS pour plumer la volaille socialiste. Pas besoin de 20 réunions par jour : à la fin, ce sera ça… et les macronistes reviendront avec un groupe de 50 gugus.”
Si c’est bien “ça” - et en ce jeudi matin, je me garderai bien d’un pronostic - il est parfaitement envisageable (pru-dence) que les macronistes reviennent à bien plus que “50 gugus”. Attention, accrochez-vous : le scrutin majoritaire à deux tours a cela de particulier qu’au niveau national c’est moins votre score “dans l’absolu” qui indique si vous êtes en bonne ou mauvaise posture que votre position relativement aux autres blocs ou partis (excellent nom de newsletter ça). Exemple : vous pouvez gagner des législatives avec 32,3 % des suffrages au premier tour (bloc macroniste, 2017) et les perdre avec 34,5 % (bloc de droite, 2012). La différence ? En 2017, le bloc macroniste était premier avec 13 points d’avance sur le deuxième ; en 2012, le bloc de droite était deuxième avec 12 points de retard sur le premier. Dans un contexte où le RN est loin devant, l’important c’est d’être deuxième dans un maximum de circonscriptions pour être le réceptacle d’un (probable) front républicain au second tour. Une division de la gauche hyper floue comme décrite ici, c’est un espoir pour le bloc central de ne pas être si loin de la deuxième place - donc du second tour dans de nombreux endroits - et de potentiellement sauver les meubles. Certes, les élections c’est de la dynamique, mais il ne faut pas sous-estimer à quel point les alliances ou mésalliances régissent à elles seules une partie du résultat.
La Carte électorale perdue : devinez la ville à ses urnes
Saurez-vous reconnaître quelle ville se cache derrière les résultats des onze élections présidentielles de la Ve République ? Le principe est simple, la réponse beaucoup moins.
Une règle : on ne cherche que des préfectures ou sous-préfectures. Ce qui nous permet déjà de limiter les réponses possibles, de bien quadriller le territoire et d’avoir des très grandes villes et des toutes petites.
J’hésite tout de même sur un point : faut-il ajouter quelques indices à côté du tableau pour aider à trouver la ville ? Pour cette première on va faire sans, et on verra s’il y a beaucoup de retours…et de bonnes réponses. Regardez bien… Qui sur-performe ou sous-performe et quand ? Ça vous aidera !
Une idée de la réponse ? Envoyez-la-moi à blocsetpartis+jeu@gmail.com. Imaginons un classement des meilleur·es en fin de saison ? Réponse bien sûr dans la prochaine newsletter.
Les données utilisées proviennent du ministère de l’Intérieur et de J. Cagé et T. Piketty (2023) : Une histoire du conflit politique. Élections et inégalités sociales en France, 1789-2022. Le Seuil.
C’est tout pour moi cette semaine. Je vous donne rendez-vous jeudi 23 octobre 2025 pour le deuxième épisode de Blocs & Partis.
Électoralement vôtre,
R. G.-V.