[1.02] Bienvenue dans l'ère du parlementarisme sauvage
L'abandon du 49.3 est une bonne chose mais les débats budgétaires qui s'annoncent déstructurés et improvisés ne nous rapprochent pas tant que cela des mœurs parlementaires de nos voisins
Salut !
C’est le deuxième épisode de Blocs & Partis ! Vous avez été très nombreux et nombreuses à me faire confiance avant même l’envoi de la première lettre : merci beaucoup ! Et bienvenue à toutes celles et tous ceux qui les ont rejoints depuis. Vous êtes déjà plus de 1 600 !
Cette semaine, j’examine la possible nouvelle donne parlementaire à l’aube du débat budgétaire alors que le Premier ministre a promis de ne plus utiliser l’article 49.3 de la constitution.
Comme chaque semaine, la chronique est disponible à l’écrit, mais aussi en podcast. C’est un VRAI PODCAST, c’est moi qui parle, pas une IA, y’a de jolis jingles, on se donne du mal. Alors, si vous préférez l’audio, c’est juste ici ⤵️
Pour rappel, Blocs & Partis, les chroniques de la Ve République tardive, est publiée un jeudi sur deux. Pour celles et ceux à la recherche d’une analyse renouvelée de la scène politique française, de ses dynamiques et de ses métas. C’est aussi ma sélection d’infos ou d’éléments qui ont retenu mon attention et un terrible jeu : “La Carte électorale perdue”. La publication est pour le moment gratuite, mais vous pouvez aussi soutenir mon travail en souscrivant à un abonnement payant.
La chronique
“Le moment le plus parlementaire de la Ve République”…? Mouais. D’abord parce que si le référentiel est la Ve République, c’est pas très difficile. Mais, dans l’absolu, même sans 49.3, on est encore loin d’un Parlement surpuissant. Je ne vais pas revenir en détail sur les nombreux outils constitutionnels que le gouvernement a encore dans sa besace pour contraindre le Parlement. D’autres l’ont très bien fait ici ou là.
Il faudrait aussi parler de la différence abyssale de moyens entre le gouvernement et les parlementaires. Le constitutionnaliste Benjamin Morel en touchait deux mots dans un article que j’avais écrit en mars dernier dans Le Monde dont le titre me paraît toujours d’actualité : “Les illusions perdues d’un retour du pouvoir à l’Assemblée nationale.”
Ne nous cachons néanmoins pas derrière notre petit doigt : renoncer au 49.3 est un gros morceau, ou en tout cas potentiellement un gros morceau. Bien sûr, le gouvernement a d’autres armes. Mais les utiliser dans les semaines qui viennent, c’est risquer de provoquer sa chute immédiate. Sur le papier, ce début d’équilibre de la terreur parlementaire est forcément bienvenu.
L’utilisation du 49.3 pour gouverner sans majorité (il n’est pas fait pour) crée bien sûr un problème démocratique majeur. Sa multiplication a eu des effets délétères sur un débat politique national et un parlementarisme français déjà bien mal en point.
Déresponsabilisation
Paradoxalement, la certitude de l’engagement de la responsabilité du gouvernement déresponsabilise tout le monde. Et en premier lieu les député·es. L’année dernière, ça s’est traduit de deux manières : les macronistes ont déserté, la gauche a elle fait voter tout ce qu’elle pouvait en criant victoire à tout bout de champ, sachant bien que l’ardoise magique du 49.3 allait effacer un budget peut être “gauchisé” mais devenu incohérent. En 2022 et 2023, les 49.3 tombés très tôt dans le débat ont aussi déresponsabilisé le gouvernement qui n’avait presque plus à défendre son budget devant l’Assemblée.
Enfin, le 49.3 est aussi un obstacle massif à tout compromis : après tout, pourquoi prendre le risque de toper avec un gouvernement qui peut, au dernier moment, changer la copie dans son coin. Alors, ça y est ? La porte est ouverte à un accord ponctuel, mais en bonne et due forme entre plusieurs partis pour faire passer un budget ?
On en est loin.
On entend beaucoup parler d’un “deal”, d’un “accord” concernant la non-censure des socialistes le 16 octobre suite à la promesse du gouvernement de suspendre la réforme des retraites. Sans parler du fond - on y reviendra - ce n’est même pas le cas. Où est le bout de papier (n’en demandons pas trop) où est décrit précisément ce qui est convenu par chacune des parties prenantes, daté et signé précédé d’une mention “lu et approuvé” ? Nulle part. Y a-t-il seulement eu une poignée de main ? Probablement pas.
Nous n’avons eu à nous mettre sous la dent que ce SMS de Sébastien Lecornu à Olivier Faure envoyé juste avant sa déclaration : “Je prends mon risque.” Pour les grands récits romantisés de la journée, c’est formidable, pour comprendre ce qui s’est vraiment décidé, a priori faudra repasser.
Improvisation
Le plus marquant dans la période c’est qu’il n’y a même pas de négociations. Oh, les gens se parlent oui, mais peut-on vraiment parler de tractations ? Le récit qui nous a été fait des consultations de Sébastien Lecornu avec les partis à Matignon ne correspond pas à cette définition non plus. Je crois qu’on ne se rend pas compte à quel point tout cela est improvisé.
Après la déclaration du Premier ministre le 14 octobre, à l’Assemblée, je tombe sur un éminent membre du groupe socialiste et lui souligne que désormais pour être certain d’avoir la suspension de la réforme des retraites, il va falloir voter “pour” (une abstention ne suffisant pas) un budget possiblement imbuvable. Il m’a fait des yeux ronds, comme s’il venait de réaliser, et m’a bredouillé un truc du genre “on doit ajuster tout ça”. D’accord. Un peu plus tard, je croise cette fois un cadre de la coalition gouvernementale qui n’avait pas non plus réalisé la situation : “Non, non ils vont pas voter le budget…ah mais si ! Ah ouais !” Très bien.
Le mantra, répété à sept reprises par Sébastien Lecornu le 14 octobre est “le gouvernement proposera, nous débattrons, vous voterez”. Que ça passe pour une avancée en dit évidemment long sur nos mœurs démocratiques, comme l’a souligné Cyrielle Châtelain dans sa réponse. Bien sûr, cela nous éloigne du fait majoritaire binaire, très corseté, attendu, et c’est heureux. Mais ça ne nous rapproche pas tant que ça des mœurs parlementaires de nos voisins où l’incertitude existe, où des gouvernements peuvent tomber - et c’est ok - mais où les relations sont contractuelles.
Le parlementarisme n’est pas une loterie
Chez nous, à l’aube de la saison budgétaire, se profile un débat-loterie, où l’adoption des amendements ou des articles peut, sur le papier, se jouer au petit bonheur la chance de la mobilisation des uns ou des autres. Où l’incertitude est permanente, les micro-tactiques de séance sont reines et des milliards peuvent se jouer sur un coup de dés. Où chacun accuse l’autre de collision complice, forcément complice, avec le troisième…à tour de rôle. Dans les semaines à venir, avoir une bonne pointe de vitesse dans les couloirs de l’Assemblée entre la commission et l’hémicycle comptera plus que savoir forger des compromis, même mineurs, même ponctuels.
Je ne souscris pas du tout à l’idée simpliste qu’il suffirait de se mettre autour d’une table pour s’entendre sur quelques sujets importants : trouver des compromis est difficile, le 49.3 n’était certainement pas le seul frein.
Mais, entre improvisation romantisée et débats déstructurés, tout cela nous fait peut-être entrer dans une ère de parlementarisme sauvage. Un manque de visibilité entretenu par la peur panique qu’ont les acteur·rices politiques de tout ce qui se rapproche d’un “accord” avec un adversaire. Par refus d’être comptables d’une prise de position un tant soit peu claire. C’est-à-dire : de faire de la politique.
Choses vues
Gros risque, gros gain, gros respect ? // L’annonce par Sébastien Lecornu de passer plutôt par une lettre rectificative plutôt qu’un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour la suspension de la réforme des retraites ouvre un scénario qui, me semble-t-il, illustre bien tout le flou entretenu du parlementarisme sauvage décrit plus haut. Si la lettre rectificative a bien pour but de “sécuriser” le gain des socialistes, c’est que le gouvernement pense que son texte initial a de bonnes chances d’être appliqué…en passant par les ordonnances prévues par l’article 47 de la Constitution. J’ai un peu de mal à voir le progrès dans le fait de troquer le 49.3 pour une procédure où l’Assemblée n’a même plus le couperet d’une motion de censure provoquée. Cette méthode aurait le chic de ne plus obliger le Parti socialiste à, très matériellement, voter “pour” un budget “inacceptable”, dixit Boris Vallaud. Mais la question de “laisser passer” ce budget, via une non-censure qui se prolongerait au moins jusqu’aux ordonnances, reste entière. Les Roses ont fait un pari incroyablement risqué, car ils ne connaissent toujours pas le prix de la concession sur les retraites (au passage, c’est la limite de ne jamais vouloir rien coucher sur le papier dans un accord, bref…). Comme tout très gros risque, s’il paye, alors il peut ramener un très gros gain. Sinon, ce serait probablement une immense défaite dont le PS mettrait du temps à se relever. Je n’exclus pas - et pas seulement par principe - ce très gros gain : les socialistes considèrent que même si ça ne leur plaît pas, les macronistes n’ont pas le capital politique pour s’opposer à leurs demandes. Une analyse que je partageais plutôt dans le première épisode de Blocs & Partis au sujet du “gros bougé” d’Elisabeth Borne sur les retraites. Mais, à cette heure, même des socialistes le reconnaissent, tout ça a bien plus de chances de mal finir qu’autre chose.
Signal faible // Le scepticisme est donc permis - pour le dire pudiquement - sur le “mouv” extrêmement hasardeux des socialistes sur les retraites. Mais ces derniers jours, le doute à ce sujet me vient surtout…de l’attitude de La France insoumise. Les insoumis investissent rarement du temps à taper sur des concurrents inoffensifs. Il ne vous aura pas échappé que Jean-Luc Mélenchon n’a pas vraiment passé sa campagne présidentielle sur le dos d’Anne Hidalgo, n’est-ce pas ? Voir les insoumis dénoncer une victoire, il est vrai tout à fait virtuelle pour le moment, mais sur un sujet absolument majeur, a tout de même quelque chose d’intrigant quand, eux, n’hésitent jamais à crier “VICTOIRE” sur Twitter quand ils ont réussi à changer l’heure d’une réunion. Un peu léger comme argumentaire ? Je vous l’accorde. Mais quand Jean-Luc Mélenchon lui-même se fend d’un tweet pour dénoncer “un alignement” de l’intersyndicale sur “la stratégie du PS” au sujet d’un communiqué qui parle simplement d’un “premier pas” avec la promesse de suspension de la réforme de 2023… On peut se demander si le PS ne loue pas désormais un bel appart dans la tête des insoumis. Depuis quelques années, c’était quand même plutôt l’inverse.
Politique pas si fiction // Et si le PS avait censuré ? Le président menaçait de dissoudre l’Assemblée nationale. Bon, on ne peut pas dire que cette perspective ait totalement disparu. Dans ce cas-là, quelle est la situation électorale des Roses ? Eh bien…ça dépend. Et ça dépend…pas vraiment d’eux. Avec Mathieu Gallard, directeur d’études chez Ipsos, on y a consacré toute une séquence de la soirée électorale que nous avons organisée le 12 octobre sur Twitch, à l’occasion du second tour de la législative partielle dans le Tarn-et-Garonne. Le replay complet est ici, mais je vous ai isolé cet extrait où on étudie toutes les possibilités, qui vont du retour à la trentaine de sièges de 2022…au casse du siècle.
La Carte électorale perdue : devinez la ville à ses urnes
Saurez-vous reconnaître quelle ville se cache derrière les résultats des onze élections présidentielles de la Ve République ? Le principe est simple, la réponse beaucoup moins.
Une règle : on ne cherche que des préfectures ou sous-préfectures. Ce qui nous permet déjà de limiter les réponses possibles, de bien quadriller le territoire et d’avoir des très grandes villes et des toutes petites.
C’est plus dur que la dernière fois alors je vous dirai qu’ici “les hommes passent”. Les grands hommes même puisque Charles de Gaulle a dit de cette ville qu’elle est “une ville d’avant-garde, d’avant-garde du courage, de tous temps, d’avant-garde de l’épreuve.” Pour le reste, regardez bien… Qui sur-performe ou sous-performe et quand ? Ça vous aidera !
Une idée de la réponse ? Envoyez-la-moi à blocsetpartis+jeu@gmail.com. Réponse bien sûr dans la prochaine newsletter.
La réponse du 9 octobre : le sur-vote Chaban-Delmas devait vous orienter vers l’ancienne région Aquitaine. Le sur-vote pour l’extrême droite jusqu’en 2002, et notamment le très gros résultat de Tixier-Vignancourt précisait encore la zone autour de la vallée de la Garonne. Enfin, le léger sur-vote Mélenchon ces dernières années et dans une moindre mesure le léger sur-vote Macron aux seconds tours nous indique qu’il ne s’agit ni d’une toute petite ville, ni d’une très grosse…nous étions donc à Agen !
L’indice un peu caché était que c’est ma ville de naissance. Ça ne marchera pas toute les semaines : La Rochelle ça ne sera pas pour tout de suite !
Guillaume Berrat est le tout premier à avoir trouvé la bonne réponse. Vincent Mazoyer, Nicolas Fert, Antoine Mire, Valerio Motta et Eric Dupin l’ont suivi. Chacun gagne 1 point, et le premier en gagne 2 de plus pour la rapidité. À vous de rentrer dans le classement !
Les données utilisées proviennent du ministère de l’Intérieur et de J. Cagé et T. Piketty (2023) : Une histoire du conflit politique. Élections et inégalités sociales en France, 1789-2022. Le Seuil.
C’est tout pour moi cette semaine. Je vous donne rendez-vous jeudi 6 novembre 2025 pour le troisième épisode de Blocs & Partis.
Électoralement vôtre,
R. G.-V.








