[1.03] Marine Tondelier : une autre « présidentiable » est-elle possible ?
La cheffe des écolos a déclaré sa candidature mais est-elle une « présidentiable » ? Dans un marché des prétendant·es complètement déréglé, le concept lui-même ne veut peut-être plus rien dire.
Salut !
C’est le troisième épisode de Blocs & Partis ! Cette semaine, on parle de la déclaration de candidature de Marine Tondelier pour la prochaine présidentielle. N’hésitez pas à liker et partager la lettre, c’est une grande aide pour moi. Vos retours sont aussi très précieux.
Comme chaque fois, la chronique est disponible à l’écrit, mais aussi en podcast. C’est un VRAI PODCAST, c’est moi qui parle, pas une IA, y’a de jolis jingles, on se donne du mal. Alors, si vous préférez l’audio, ça se passe sous le titre ⬆️
Pour rappel, Blocs & Partis, les chroniques de la Ve République tardive, est publiée un jeudi sur deux. Pour celles et ceux à la recherche d’une analyse renouvelée de la scène politique française, de ses dynamiques et de ses métas. C’est aussi ma sélection d’infos ou d’éléments qui ont retenu mon attention et un terrible jeu : « La Carte électorale perdue ». La publication est pour le moment gratuite, mais vous pouvez aussi soutenir mon travail en souscrivant à un abonnement payant.
La chronique
C’est pas facile de gagner au jeu du « bon timing » en politique. Certain·es perdent quand même plus que d’autres : regardez Marine Tondelier, qui a déclaré sa candidature à la présidentielle (via deux primaires, rien que ça) le 22 octobre, en plein drama politico-budgétaire. Pire encore, elle a sorti le bouquin-plus-personnel-que-politique-obligatoire-de-tous-les-wannabe-président·es (Demain, si tout va bien, Albin Michel) alors que tout le monde pensait partir en campagne législative illico presto. Las, les fameux 18 000 livres imprimés ne se sont écoulés qu’à 1 725 exemplaires après un mois.
Cela dit, la secrétaire nationale des Écologistes ne comptait probablement pas sur un effet de surprise. Fin août, aux Journées d’été des écologistes à Strasbourg, à la question « y’a-t-il un monde où Marine Tondelier n’est pas la candidate du parti à la primaire de la gauche », la réponse la plus commune était un sourire entendu.
On y a vu, aussi, par petites touches, ce que j’ai interprété comme une timide tentative de présidentialisation. Dans la tenue, les mots… Le succès médiatique de Marine Tondelier comme porte-parole n’est pas contestable, mais elle reste bloquée dans l’image de la « bonne copine » de l’union de la gauche. Pas facile d’en sortir : l’élue d’Hénin-Beaumont n’a pas pu s’empêcher de faire un peu de stand-up, comme elle aime, dans son discours.
Mais c’est quoi, au juste, un ou une « présidentiable » ? Quelqu’un qui a des chances de gagner ? Qui est en position de se présenter ? Qui figure bien dans les sondages ? Qui y figure tout court ? Compétent·e ? Un peu de tout ça ? Il faut se pencher sur ce concept un peu fumeux. L’inflation du nombre de personnalités qui ont été qualifiées de « présidentiables » ces dernières années a de quoi décrédibiliser le terme.
Une vision américaine des choses
Il a suffi d’une élection triomphale, avec 58 % des voix (et 38 % de participation…) pour que la présidente socialiste de la région Occitanie, Carole Delga, accède par exemple au statut de « présidentiable ». Au passage, ne cherchez pas : il y a plus d’américanisation de notre vie politique dans le fait de voir dans la « bonne » réélection d’une gouverneure, pardon, une présidente de région, une rampe de lancement présidentielle que dans n’importe quel « wokisme ».
Il a suffi de l’activisme éditorial du maire de Cannes, devenu président de l’Association des maires de France, pour que David Lisnard obtienne aussi le fameux tampon. « A mon époque, les présidents de l’AMF espéraient au mieux devenir sous-secrétaire d’Etat aux collectivités locales. Et encore, seuls les meilleurs y arrivaient ! », cinglait, tout en euphémisme, un ancien ténor de la droite, il y a quelques années, sidéré par les ambitions d’un Lisnard ou même d’un Pradié.
Marine Tondelier, elle, ne vient pas de nulle part. Elle est la cheffe d’un parti, bien installée à son poste, qui a un groupe parlementaire dans les deux chambres. Elle représente un courant politique identifiable. Elle-même incarne depuis la dissolution l’aspiration unioniste de l’électorat de gauche. Objectivement, c’est déjà pas si mal : bien des “présidentiables” ne répondent pas à ces critères.
Mais ça ne suffit pas. Peut-être même dans son propre parti : il fallait être là, d’ailleurs, à la fin du discours de la secrétaire nationale à Strasbourg, pour soupeser l’accueil très frais fait à sa probable candidature. Rien à voir, quelques minutes plus tôt, avec la réaction des militant·es lors de sa diatribe sur l’union de la gauche. (écoutez le podcast !)
Effort d’imagination
Ce n’est pas passé inaperçu au premier rang, chez des cadres sceptiques. Où la perspective de voir Marine Tondelier candidate commune de la gauche à batailler face à l’héritier du macronisme et Bardella ou Le Pen inquiète quand elle ne donne pas des sueurs froides.
Bien sûr, on lui reconnaît ses galons dans la lutte contre l’extrême droite, du courage, une indéniable capacité à « connecter » avec les gens aussi. Mais on lui reproche un gros manque de fond. Jamais parlementaire ni ministre, jamais dans un exécutif, n’est-ce pas léger ? Une critique « bien sévère » pour David Cormand, premier soutien de Tondelier : « Elle a été collaboratrice parlementaire, elle a été à la fédération Atmo et est hyper calée sur les sujets d’environnement et de santé. Elle a piloté les journées des écolos pendant huit ans donc elle a été en contact avec la totalité des intellectuels de la galaxie écolo », rappelle l’euro-député.
Fin août, la photo des dirigeants européens entassés face à Donald Trump dans son bureau ovale était dans tous les esprits : « Vous imaginez Tondelier ? » Franchement, non. Pour être tout à fait honnête, je n’y imagine à peu près aucun des autres potentiels candidats de gauche.
Sur cette photo, il y a certes des gens qui ont toujours baigné dans les milieux politiques et de pouvoir, mais aussi d’autres pour qui il a fallu, fut un temps, pas mal d’imagination pour les voir dans cette position, et je ne parle pas que de Volodymyr Zelensky.
Une crise de surproduction de « présidentiables »
L’événement est roi et les événements font les personnes, je crois beaucoup à ça. Et, fondamentalement, je pense que quelqu’un est perçu comme « présidentiable » le jour où les Français·es ont envie de le voir comme ça. Pour moi, ce n’est pas vraiment le sujet. Et puis l’élection présidentielle ne peut pas juste être un club privé des gars de plus de 50 ans qui ont la gueule de l’emploi parce qu’ils y pensent depuis toujours, c’est pas possible.
Ce que je trouve plus embêtant, plus inquiétant même quand je regarde le panel des prétendant·es, c’est le dérèglement du marché du « présidentiable ». L’élection d’Emmanuel Macron a changé la donne : gagner du premier coup, sans parti, en étant inconnu de 99 % des Français·es au moment de l’élection de son prédécesseur… Ça réduit singulièrement le prix d’entrée. Avec le succès fulgurant d’un Jordan Bardella, à peine 30 ans, à coup de Tik Tok, c’est carrément la braderie.
Les grandes ambitions présidentielles ne sont pas uniquement motivées par l’envie d’être utiles au pays, n’ont pas toutes été l’expression d’une pensée politique profonde. C’est ça une élection, du rationnel et de l’émotionnel, et c’est ok. Mais si votre vocation est avant tout née du fait que la barre de qualification – dans tous les sens du terme – est aujourd’hui perçue comme plus basse, ça risque d’être insuffisant. Les citoyen·nes ont le droit d’en demander plus. Il n’est pas trop tard pour y répondre.
Choses vues
Tactique Hassan Cehef // Renoncer au 49.3 ? C’est possible. Faire une lettre rectificative au PLFSS pour un peu plus assurer la concession sur les retraites ? Bien sûr, c’est possible. Vous voulez que je l’annonce expressément à votre chef plutôt qu’à Marine Le Pen aux QAG ? Absolument, c’est possible. Que je lève les gages de cette même lettre ? Oui oui, c’est possible. Passer les amendements votés à l’Assemblée au Sénat même sans adopter le budget en première lecture pour ne pas être obligés de voter tout de suite ? C’est possible aussi. Bon et maintenant, la taxation des hauts patrimoines ? Oula, alors ça faudra voir avec l’Assemblée, bon courage !
Sébastien Lecornu affecte de se défaire des apparats du parlementarisme rationalisé de la Ve République en assurant qu’il s’en remet aux votes de l’Assemblée nationale. On a déjà dit pourquoi c’était moyennement vrai. Mais c’est une manière de donner l’impression de tout lâcher sur la forme et de temporiser sur le fond, n’endossant à peu près rien lui même. Une façon aussi de gagner du temps et de rendre encore plus inopérantes les menaces de censure. C’est hyper malin, jusque là ça marche super bien : Sébastien Lecornu est peut-être le premier chef de gouvernement depuis 2022 à vraiment réussir à refiler le mistigri de l’instabilité aux parlementaires.
Dati atout pris ? // Le ralliement de Renaissance à Pierre-Yves Bournazel (Horizons) plutôt qu’à Rachida Dati (LR ?) dans la course à la mairie de Paris a tout de suite eu un effet sur les sondages. Avec autour de 14 % si on en croit la livrée de l’Ifop pour Le Figaro, le candidat philippiste est dans le match, ce qui n’était pas le cas jusque-là. Le total des listes de droite et du centre est en très nette baisse comparé à 2020 (50,8 en 2020, 40 à 43 % ici dans les hypothèses les plus probables)... Ce n’est en revanche pas si mauvais si on enlève Villani, à l’électorat bien plus progressiste, du total de 2020 (43,7 %).
A gauche, si le premier tour est « ok tier » (45 à 48 % contre 45 % en 2020), le second tour est très, très inquiétant. La liste de la majorité municipale culmine à 42 % sans liste LFI, alors que le total gauche pointe jusqu’à 55 % avec le maintien d’une liste insoumise. De quoi interroger les stratèges socialistes et leur intransigeance. Le scénario était tout à fait prévisible, son ampleur peut-être pas. A voir si cela se confirme dans les prochains sondages. Un détail : dans le scénario à 42 %, la gauche gagne l’élection tandis que la droite perd en cumulant 58 % des voix ; dans le scénario à 55 %, la gauche perd et la droite gagne avec 45 % des suffrages. On va enfin l’avoir, notre maire de Paris élu·e confortablement avec une minorité de voix !
Wordart // Évidemment Zohran Mamdani, le maire élu du New York, n’a pas gagné le scrutin du 4 novembre (et la primaire du 22 juin) parce qu’il avait une bonne identité visuelle. Mais le sujet mérite d’être creusé. L’agence Graphéine fait un petit topo et c’est plus complet en anglais sur Curbed. Vu de France, où la communication visuelle des campagnes électorales se résume le plus souvent à savoir qui va gagner le concours de la meilleure reproduction de l’affiche de la Force tranquille, c’est très exotique. Il ne s’agit pas d’un truc « américain » : regardez la com des partis espagnols, par exemple.
Sauf que dans un pays anaphabète au design graphique (ça dénonce) le moindre euro donné à une agence « pour un dessin » peut vite tourner à la polémique. Car oui, ça coûte de l’argent et, c’est vrai, la plupart des campagnes locales n’en ont tout simplement pas les moyens. Dans un paysage politique déstructuré, où le premier enjeu des candidat·es est de se faire connaître, d’être repérable facilement, je crois pourtant que ça n’est pas un détail d’avoir une identité visuelle cohérente à laquelle on se tient. Sur les réseaux et au moins autant dans la vraie vie.
Sans parler des années 70/80, où on trouve de vraies bonnes affiches dont on a visiblement perdu la recette, il y a quelques exemples de réussites en France ces dernière années : on peut penser à Macron 2017, mais aussi Hidalgo 2020 à Paris et la campagne du Printemps marseillais (« Rubirola est là »), la même année. Roussel 2022, pourquoi pas. A ce jeu là, modulo quelques sorties de routes consternantes, c’est LFI qui domine aujourd’hui : les affiches reprennent toujours les mêmes codes, vous les reconnaissez tout de suite, dans la rue ou ailleurs. Sans parler du logo, le meilleur dessiné depuis le poing et la rose de Marc Bonnet et Yann Berriet, qui est toujours, cinquante-six ans après, le logo du Parti socialiste.
La Carte électorale perdue : devinez la ville à ses urnes
Saurez-vous reconnaître quelle ville se cache derrière les résultats des onze élections présidentielles de la Ve République ? Le principe est simple, la réponse beaucoup moins.
Une règle : on ne cherche que des préfectures ou sous-préfectures. Ce qui nous permet déjà de limiter les réponses possibles, de bien quadriller le territoire et d’avoir des très grandes villes et des toutes petites.
Cette semaine, nous cherchons une commune liée à un chef de gouvernement français mais a aussi vu naître une sorte de ministre de la défense, il y a bien plus longtemps. Pour le reste, regardez bien… Qui sur-performe ou sous-performe et quand ? Ça vous aidera !
Une idée de la réponse ? Envoyez-la-moi à blocsetpartis+jeu@gmail.com. Réponse bien sûr dans la prochaine newsletter.
La réponse du 23 octobre : l’indice avec la citation du général De Gaulle était clairement un peu trop simple. Étonnamment, moins de monde a reconnu la chanson de Patrica Kaas, native de la commune. D’un point de vue plus électoral, il y a en fait assez peu de communes où Jean-Marie Le Pen arrive en tête en 1995. Le bon score de Jean-Luc Mélenchon en 2022 et les victoires, même sur le fil, d’Emmanuel Macron, devaient nous éloigner du sud-est. Tout cela ajouté au gros score du général en 1965 nous amène enfin en Moselle… Nous étions donc à Forbach.
Valerio Motta est le tout premier à avoir trouvé la bonne réponse. Il a été suivi par Nicolas Fert, Eric Dupin, Antoine Mire, Beranger Ambroise, Jean-Marie Evrard, Noé Allouche, Guillaume Mereb, Louÿ Lenoir, Arthur Olivier, Julien Robin, Julia Lagrée, Paul Stuckle, Arthur Nicolas mais aussi Jean-Jacques Urvoas. Chacun gagne 1 point, et le premier en gagne 2 de plus pour la rapidité. Valerio prend d’ailleurs la tête du classement avec 4 points. À vous d’y rentrer !
Les données utilisées proviennent du ministère de l’Intérieur et de J. Cagé et T. Piketty (2023) : Une histoire du conflit politique. Élections et inégalités sociales en France, 1789-2022. Le Seuil.
C’est tout pour moi cette semaine. Je vous donne rendez-vous jeudi 20 novembre 2025 pour le quatrième épisode de Blocs & Partis.
Électoralement vôtre,
R. G.-V.









Je pensais à Lorient mais en vérifiant les chiffres du premier tour ça ne correspond pas tout à fait. C’est rageant !