[1.04] Tirez pas sur les primaires !
Devenues « machines à perdre » dans l’imaginaire politique français, les primaires (ouvertes ou fermées) ont le dos large alors qu’elles ne sont qu’un outil. Pas toujours bien utilisé, il est vrai.

Salut !
C’est le quatrième épisode de Blocs & Partis ! Cette semaine, on parle des primaires. Pas en particulier, mais en général. N’hésitez pas à liker et partager la lettre, c’est une grande aide pour moi. Vos retours sont aussi très précieux.
Comme chaque fois, la chronique est disponible à l’écrit, mais aussi en podcast. C’est un VRAI PODCAST, c’est moi qui parle, pas une IA, y’a de jolis jingles, on se donne du mal. Alors, si vous préférez l’audio, ça se passe sous le titre ⬆️
Pour rappel, Blocs & Partis, les chroniques de la Ve République tardive, est publiée un jeudi sur deux. Pour celles et ceux à la recherche d’une analyse renouvelée de la scène politique française, de ses dynamiques et de ses métas. C’est aussi ma sélection d’infos ou d’éléments qui ont retenu mon attention et un terrible jeu : « La Carte électorale perdue ». La publication est pour le moment gratuite, mais vous pouvez aussi soutenir mon travail en souscrivant à un abonnement payant.
La chronique
J’ai trouvé incroyable que l’homme qui doit le plus aux primaires dans l’histoire politique de ce pays, François Hollande, vienne expliquer sur France Inter, lundi 17 novembre, que c’était « le plus mauvais des systèmes ».
On aura probablement l’occasion de revenir ici sur la principale primaire actuellement en préparation : celle du processus dit « de Bagneux » au sein du Front populaire 2027. Une primaire de la « gauche unitaire » sacrément mal partie - et pour plein de raisons. Toutefois, je me garderai dès maintenant de dire que l’échec est certain : la situation de l’automne 2025 ne sera pas forcément pas celle de l’automne 2026.
Aujourd’hui, je veux vous parler plus largement du concept de primaire. Qu’elle soit ouverte ou fermée. De droite ou de gauche.
Même si dans sa position la take de François Hollande est plutôt gonflée, elle n’a rien de surprenant. L’image des primaires dans le monde politique et médiatique est extrêmement négative depuis le cycle électoral de 2017. Cette année-là, aucun des candidats aux deux grosses primaires ouvertes (François Fillon et Benoît Hamon) n’a atteint le second tour. Celui désigné par une plus petite (Yannick Jadot) s’est rallié à un autre avant même le premier tour.
Et puis force est de constater que, depuis lors, la vie politique nationale est dominée par trois partis : Renaissance, le Rassemblement national et la France insoumise. Trois partis personnels, un peu attrape-tout (moins LFI), où l’idée de primaire n’a pas le droit de cité. En fait, les deux partis les plus récents se sont littéralement construits contre.
Ni machines à perdre, ni machines à gagner
Les primaires ont le dos large. Véritables boucs-émissaires des sorties de route magistrales des deux grands partis, PS et LR, en 2017. Après avoir été parées de toutes les vertus démocratiques, elles sont désormais des « machines à perdre ».
C’est vrai, les primaires ne sont pas des « machines à gagner ». Mais considérer que la primaire, c’est cool que quand on gagne à la fin n’a pas de sens. Ce n’est pas une « garantie de victoire ». C’est un outil, c’est un mode d’investiture normal, en tout cas plutôt dominant. C’est « périlleux » mais se présenter à des élections c’est « périlleux » !
Regardons autour de nous : à part en Italie et en Suisse (pas vraiment concernée) tous les chef·fes de gouvernement ont gagné une primaire ou une élection interne. Ouverte, fermée ou semi-ouverte. C’est le cas de Keir Starmer au Royaume-Uni, de Friedrich Merz en Allemagne, de Pedro Sanchez en Espagne, de Luis Montenegro au Portugal, du probable futur chef du gouvernement néerlandais, Rob Jetten. D’autres se sont présenté·es, mais, seuls candidat·es, n’ont pas eu à affronter un vrai vote, comme Mette Frederiksen au Danemark, Bart de Wever en Belgique… Et pour tous ceux-là, la majorité de leurs chef·fe de l’opposition passe par un processus similaire.
Tous ces gens sont dans de plus ou moins bonnes postures peu liées au fait qu’ils ou elles aient été désigné·es par une primaire. Parce que ce n’est pas une solution miracle qui rassemble des partis profondément divisés ou donne un programme tombé du ciel à des gens qui n’ont plus d’idées.
Quelles sont les autres options ?
On dit aussi que la primaire crée de la division… Pardon, mais si les membres ou sympathisant·es de votre parti votent plus pour se faire plaisir entre eux que pour gagner, le problème est en amont. On dit qu’elle use, qu’elle abîme les favoris. Il me semble que si votre super candidat est trop fragile pour qu’on lui enlève son papier bulle avant la vraie élection, c’est peut-être que ce n’est pas un si bon candidat que ça. C’est d’autant plus drôle que dans certains pays, dans le cas de courses avec un grand favori, le fait d’avoir une campagne interne est vu comme un crash-test bienvenu pour l’impétrant. Qui peut renforcer sa crédibilité dans un sérieux tour de chauffe.
Je ne défends même pas l’idée de primaire juste parce que voter, c’est mieux - et que, personnellement, plus il y a d’élections mieux je me porte. Ou parce que les partis se devraient d’être démocratiquement exemplaire - je ne crois ni en la démocratie de parti…ni en ceux et celles qui estiment qu’on peut s’en dispenser totalement. Mais quelles sont les autres options ?
Une cooptation ? L’adoubement d’un grand chef ? Une décision prise dans une salle fermée, entre aparatchiks ? Les sondages ? Fallait voir, avant 2022, toutes les périphrases pour ne pas dire « primaire » qu’a utilisé un temps Les Républicains : le fameux « système de départage » qui devait d’abord être un gros sondage (???) puis est finalement devenu…un vote des militant·es. Ou à gauche : « primaire des idées », un vote de désignation sans campagne (???)...
Les primaires ne sont ni bonnes ni mauvaises : elles sont ce qu’on en fait. Ce qu’en font les partis et leurs militant·es, les perdant·es et les vainqueurs. Il faut arrêter de les prendre à l’envers.
Choses vues
Ironman parlementaire // C’est long le budget, trop long même. Un beau jour, il faudra bien réviser la fameuse « LOLF » (loi organique relative aux lois de finance). Deux mois et demi de temps parlementaire, certes pour les deux textes les plus importants de l’année, c’est trop. Comparé à nos voisins, par exemple. Mais aussi démocratiquement : comme l’a expliqué le constitutionnaliste Benjamin Morel, les règles qui régissent l’adoption de nos budgets - et le « filet de sécurité » de la loi spéciale - rendent extrêmement difficile, très risqué, une dissolution pendant cette saison-là. Or, dans les démocraties parlementaires, le budget est quand même le moment où les gouvernements sont les plus susceptibles de tomber. Dans certains systèmes, le refus du budget vaut - automatiquement - chute du gouvernement et dissolution. Cette impossibilité entrave autant le gouvernement que l’opposition, dont les menaces de dissolution ou de censure tombent un peu à plat.
49.3 mon amour // Ce n’est pas la première fois qu’il le dit et n’est pas le seul à le penser, mais Marc Fesneau, le président du groupe des députés MoDem est revenu à la charge lundi sur le retour du 49.4 pour faire passer les budgets pour 2026. C’était sur LCP :
« Tout le monde est un peu gêné, car on s’est privé d’un outil certes très galvaudé, très détesté par les Français ; mais qu’on m’explique comment on vote un budget quand personne veut le voter et quand tout le monde le veut. »
Bon d’abord ne jouons pas la surprise : bien sûr, les 49.3 des dernières années « arrangeaient » aussi d’une certaine manière les parlementaires de tout bord. On l’a dit dans le deuxième épisode de Blocs & Partis, le 49.3 déresponsabilise tout le monde. Mais voilà il y a une petite nuance qui - j’en suis certaine - n’échappe à aucun acteur·rice politique mais est toujours oubliée devant les micros : vouloir un budget, ce n’est pas vouloir ce budget. Comme dans les sondages : les Français·es veulent le compromis, mais sur leurs idées. Les électeur·rices de gauche veulent l’union, mais derrière leur candidat·e. Enfin, si vous avez besoin d’un « 49.3 de compromis », comme le propose Fesneau, c’est que vous n’avez pas cherché un compromis - attention mot bizarre - majoritaire. Allez, c’est dur pour tout le monde, mais un jour, on arrivera à faire du vélo sans les petites roues.
Sophia in Paris // Je vais vous en reparler souvent, sans doute, de la campagne municipale dans la capitale. La semaine dernière, je suis allée à la déclaration officielle de candidature de Sophia Chikirou, qui mènera la France insoumise. Je me demandais depuis quelques jours pourquoi cette officialisation - c’était un secret de polichinelle - tardait. J’ai pas été déçue du voyage : les gars sont prêts. Un QG tout neuf digne d’une campagne présidentielle, un discours offensif, social et concret. Pendant que la majorité municipale s’est enfermée dans un cagibi depuis des semaines pour discuter de sa probable alliance, le contraste était saisissant. Certes, mars c’est pas demain, mais les autres ont sans doute intérêt à passer la seconde. Surtout si le PS, Les Écologistes et le PCF veulent mettre LFI sous les 10 % - rendant impossible son maintien au second tour. Un objectif qui, à date, me parait extrêmement ambitieux. Pas que je pense que Chikirou va gagner, pas que je pense que ce soit une bonne chose de présenter des gens qui ont des démêlés avec la justice, ou ont ce genre de propos. Mais, dans notre monde politique, elle a le profil parfait pour foutre le bordel à gauche. Non seulement, on peut penser que c’est l’objectif des insoumis à Paris, mais ils y mettent les moyens. Et en plus Sophia Chikirou se paye le luxe, elle, de ne pas fermer la porte à une fusion au second tour. Mon excellent confrère Sacha Nelken en parle très bien dans le papier qu’il a fait la semaine dernière pour Libération.
La Carte électorale perdue : devinez la ville à ses urnes
Saurez-vous reconnaître quelle ville se cache derrière les résultats des onze élections présidentielles de la Ve République ? Le principe est simple, la réponse beaucoup moins.
Une règle : on ne cherche que des préfectures ou sous-préfectures. Ce qui nous permet déjà de limiter les réponses possibles, de bien quadriller le territoire et d’avoir des très grandes villes et des toutes petites.
Cette semaine, nous cherchons une commune liée à un personnage politique français de sinistre mémoire au XXe siècle. Pour le reste, regardez bien… Qui sur-performe ou sous-performe et quand ? Ça vous aidera !
Une idée de la réponse ? Envoyez-la-moi à blocsetpartis+jeu@gmail.com. Solution bien sûr dans la prochaine newsletter.
La solution du 6 novembre // Je vous dois d’abord des excuses : René Pleven, le chef de gouvernement de l’indice, n’est pas né mais est lié à la commune que nous cherchions. Ça en a troublé quelque uns. Sur le reste, le sur-vote de centre droit au début de la période et la lente mais constante évolution vers la gauche, les gros votes Macron, les très faibles votes d’extrême droite : tout indique ici la Bretagne. A partir de là, c’est un peu plus dur : Mélenchon ne surperforme pas, on oublie les grandes villes. Pas de sur-vote communiste : il faut exclure l’ouest des Côtes-d’Armor. Le sur-vote Jadot nous indique plutôt le littoral. Pas assez à gauche pour les préfecture ou sous-préfectures du Finistère. Pas assez à droite sur la fin de la période pour Vannes ou Saint-Malo. Nous étions donc à Dinan.
Valerio Motta est à nouveau le premier à avoir la bonne réponse. Nicolas Fert, Antoine Mire, Julien Robin, Jean-Marie Evrard, Paul Stuckle, Arthur Olivier, Arthur Nicolas, Ariel Guez et Paul Berthelot ont aussi trouvé. Chacun gagne 1 point, et le premier en gagne 2 de plus pour la rapidité. Au classement, Valerio conforte son maillot jaune (tiens, c’est un indice) avec 7 points. À vous de chambouler la hiérarchie !
Les données utilisées proviennent du ministère de l’Intérieur et de J. Cagé et T. Piketty (2023) : Une histoire du conflit politique. Élections et inégalités sociales en France, 1789-2022. Le Seuil.
C’est tout pour moi cette semaine. Je vous donne rendez-vous jeudi 4 décembre 2025 pour le cinquième épisode de Blocs & Partis.
Électoralement vôtre,
R. G.-V.







