[1.05] Dati à Paris : la décence a-t-elle encore un sens ?
Face à des « bêtes populistes » très offensives, les « démocrates en tweed » ne semblent pas décidés à sortir de leur zone de confort. Au risque de la défaite. Paris pourrait bientôt être un exemple.

Salut !
C’est le cinquième épisode de Blocs & Partis ! Cette semaine, à partir de la campagne municipale parisienne, on se demande si les campagnes de « bons élèves » peuvent gagner face à des populistes sans vergogne. N’hésitez pas à liker et partager la lettre, c’est une grande aide pour moi. Vos retours sont aussi très précieux.
Comme chaque fois, la chronique est disponible à l’écrit, mais aussi en podcast. C’est un VRAI PODCAST, c’est moi qui parle, pas une IA, y’a de jolis jingles, on se donne du mal. Alors, si vous préférez l’audio, ça se passe sous le titre ⬆️
Pour rappel, Blocs & Partis, les chroniques de la Ve République tardive, est publiée un jeudi sur deux. Pour celles et ceux à la recherche d’une analyse renouvelée de la scène politique française, de ses dynamiques et de ses métas. C’est aussi ma sélection d’infos ou d’éléments qui ont retenu mon attention et un terrible jeu : « La Carte électorale perdue ». La publication est pour le moment gratuite, mais vous pouvez aussi soutenir mon travail en souscrivant à un abonnement payant.
La chronique
Je ne suis pas aujourd’hui prête à considérer que Rachida Dati est la favorite de l’élection municipale parisienne de mars prochain. En partie parce qu’on manque un peu d’éléments. Mais, mais, mais… J’ai déjà dit ici dans Blocs & Partis plusieurs fois mes doutes sur la campagne de la majorité municipale sortante. Et je dois vous l’avouer, chaque contact que j’ai avec l’équipe d’Emmanuel Grégoire, le candidat socialiste à la mairie, confirme ces doutes.
Vous n’avez pas pu passer à côté de Rachida Dati en uniforme fluo en train de « jouer » à l’éboueur. Même si c’est de loin celle qui a le plus percé (quasiment 10 millions de vues cumulés sur Twitter, Facebook et TikTok), il y en a toute une série du genre : Rachida Dati au tunnel des Halles, Rachida Dati sur les pistes cyclables de la Bastille, Rachida Dati à La Chapelle… Le tout est sans doute parfaitement démago, mais il faut le reconnaître, bien produit et diablement efficace.
À ces vidéos, Emmanuel Grégoire a eu une réponse : un carrousel Instagram de quatre pages de texte introduit par un vindicatif « ça suffit ». J’ai peur que non. Je crains même que face à une candidate populiste sans vergogne, se draper sans son indignation soit même contre productif.
L’école Sarkozy, un playbook politique bien connu
Bien sûr, Dati fait du Dati. Et Rachida Dati, c’est l’école Nicolas Sarkozy. « Dans cette école, être bravache, c’est une preuve de dynamisme et de bon sens politique », remarque Amélie Lebreton, communicante chez Coriolink. Il y a effectivement du Sarkozy sur la dalle d’Argenteuil. Et le message est le même : une droite décomplexée. Là-dessus y’a pas de feinte.
Dans l’équipe Grégoire, on se rassure en se disant qu’aucune des vidéos de Rachida Dati n’a de fond. Qu’elles n’ont pas imposé de thème - possiblement compliqué à gérer pour la gauche - dans l’agenda médiatique. Mais il n’y a pas de sujet dans ces vidéos. C’est la vidéo le sujet. Elles sont faites pour polariser, faire réagir en soi.
Car il y a effectivement - aux yeux de la journaliste parisienne CSP+ que je suis - quelque chose d’indécent là-dedans. Celle qui m’a le plus dérangée est celle que Rachida Dati a faite sur les bords du bassin de l’Arsenal, dans le 4e arrondissement de Paris. Elle y rabroue carrément des sans-abris, possiblement sans-papiers.
La journaliste mode et culture Mélody Thomas a remarqué dans sa newsletter Le Perce-Oreille que la ministre de la Culture y porte un hoodie, elle y voit là tout un symbole que je vous laisser aller découvrir chez elle. Pire encore : il y a écrit « love yourself » sur le hoodie. « Porter un pull qui intime de s’aimer tout en houspillant des personnes dans la rue, en plein hiver, symbolise parfaitement la dystopie dans laquelle nous évoluons actuellement et où la décence n’a plus de mise », écrit la journaliste.
Mais la période a changé
« C’est ce qui tue les modérés, les démocrates modérés, non-populistes. Ils sont incapables de voir que le monde a changé, que les codes sont devenus plus agressifs, se désespère le communicant Philippe Moreau-Chevrolet. La décence, la morale, que retiennent les modérés dans leur expression, c’est un handicap. Ça ne me fait pas plaisir de le dire, mais c’est une stratégie perdante. »
Plusieurs communicant·es que j’ai interrogés, ou des pros des campagnes électorales, me le disent : il n’y a plus vraiment le choix, les modérés doivent utiliser les mêmes armes que les populistes en clivant. Créer de forts sentiments positifs et de forts sentiments négatifs. Car quand on relaie les vidéos de Rachida Dati pour les dénoncer ou s’en moquer, on transmet quand même le message de Rachida Dati. D’une certaine manière, Anne Hidalgo avait ça. Ainsi, vous saturez la bande passante des électrices et électeurs.
Il faut attaquer à fond, et ne pas s’excuser de le faire. « Ça ne se jouera pas sur les valeurs, mais sur le caractère », croit Philippe Moreau-Chevrolet. D’autant que sur sa gauche il y a aussi Sophia Chikirou dans le genre. Bien sûr, Emmanuel Grégoire ne peut pas « faire du Rachida Dati ». Il doit, comme n’importe qui en politique, se différencier. Et, pour un candidat dont la notoriété n’est pas encore excellente - pour dire le moins - c’est évidemment un sujet. Encore plus quand les stratèges expliquent que sa campagne ne va vraiment commencer que… mi-janvier (au-se-cours). Ou que l’avance de Dati sur les réseaux sociaux est déjà irrattrapable (*hurlements dans un oreiller*).
Quelques exemples de « populisme modéré »
Il existe pourtant des exemples de « populisme modéré ». Le gouverneur démocrate de la très libérale Californie, Gavin Newsom, s’est mis à communiquer « à la Trump », avec un certain succès. Sans aller jusque-là, il y a aussi un peu de ça chez Zohran Mamdani, avec un succès certain. Emmanuel Macron aussi a usé d’un peu de populisme.
Pour l’instant, ce n’est clairement pas le chemin de la majorité municipale sortante. Ce qui fait dire à Philippe Moreau-Chevrolet qu’on « a d’un côté une bête populiste, qui arrive sur le ring hyper chaude, complètement dans le match. Et de l’autre un modéré en tweed, qui n’a pas envie, veut jouer selon ses propres règles et attend que le public le repêche ». De fait, la campagne Grégoire répond chiffres, stats, cohérence, valeurs, sérieux. Quand on est de gauche et parisien, on a sans doute envie de croire qu’à la fin, c’est ça qui gagne. Et puis il y a les affaires…pas des petites ! Je vous annonce pas du tout ici que c’est plié, Dati a gagné. Mais est-on encore dans ce monde-là ?
« L’ère est à la brouille, constate Mélody Thomas. La bouche dit une chose, le corps en exprime une autre, et les actes encore une autre. Et pointer ces contradictions ne sert plus à rien : elles sont devenues le cœur même de la stratégie. Maintenir le flou, dire et faire son contraire, permet aujourd’hui de toucher une audience plus large et non plus la preuve irrémédiable d’un manque de crédibilité et/ou de compétence. »
C’est vrai, Paris n’est pas la France. Et la France n’est pas les Etats-Unis. Mais, je crois qu’on peut l’expérimenter tous les jours, ça n’immunise de rien du tout.
Vous aussi vous êtes polarisé par cette chronique ? N’hésitez pas à laisser un commentaire ou liker cet épisode !
Rendez-vous
Avant d’en venir au reste de la newsletter, sachez que la prochaine, le jeudi 18 décembre - qui sera aussi la dernière de 2025 - sera consacrée à un bilan politique de l’année. A cette occasion, ce même jeudi 18 décembre, à 20 heures, j’organiserai un live sur ma chaine Twitch avec plusieurs consoeurs et confrères journalistes politique pour faire, en plus grand encore, le portrait de l’année que s’achève. Le lineup n’est pas encore définitif, mais ce sera un casting de choix, évidemment.
Soyez au rendez-vous, jeudi 18 décembre, à 20h, sur ma chaine Twitch.
Choses vues
Bras de fer // Parmi tous les coups de poker tentés par les uns et les autres depuis la chute de François Bayrou, lequel va être payant ? Celui du Parti socialiste, qui a fait le pari de la discussion avec le gouvernement pour tenter d’éliminer le « musée des horreurs » des budgets ? Celui d’Horizons, et peut-être de LR, qui sont en train de faire comprendre au gouvernement - où ils siègent, rappelons le quand même - qu’il ne peut pas compter sur des votes « pour » de leur part ? Ou celui du gouvernement, qui, même après l’interview d’Édouard Philippe, mardi 2 décembre dans Le Figaro, assure encore qu’il tiendra son engagement de ne pas user du 49.3 ? Depuis le début, je pense que le temps joue pour le gouvernement. Car je ne suis vraiment pas certaine que les forces pré-citées veulent tenter le diable. Et cela que le diable soit une loi spéciale, une chute de gouvernement, pourquoi pas une dissolution - qui me parait très improbable, mais dont la rumeur regagne de la vigueur. Dans cette hypothèse, et si faible politiquement qu’il soit, il me semble que le gouvernement a un peu plus la main.
Oh rage, oh désespoir // « Cette nuit, une page d’histoire à l’Assemblée nationale. ArcelorMittal est nationalisé ! Pour la 1ère fois depuis 1982, une nationalisation en France. » C’est ce qu’a tweeté Jean-Luc Mélenchon après la niche parlementaire de la France insoumise à l’Assemblée nationale, jeudi 27 novembre. Dans la réalité, les député·es ont voté en faveur de cette nationalisation, en première lecture. J’entends très bien que pour essayer de capter l’attention du public ne serait-ce que quelques instants - ce qui est le plus grand, le plus difficile des défis de tous les partis et candidat·es, on vient d’en parler dans la chronique - il faut un message simple, clair, et même clinquant. Et c’est d’ailleurs l’intention des insoumis quand ils crient victoire sur les réseaux sociaux ou dans les médias à chaque victoire, demi-victoire, souvent provisoire. Une grande partie des autres forces politiques s’y sont mise. Dans un moment où la population a un grand sentiment d’inefficacité de sa classe politique, je comprends l’intention. Je veux même bien croire que ça peut être mobilisateur, que cela peut créer une pression pour que le sujet avance. Mais j’ai du mal à voir comment de cette confusion entretenue peut sortir au final autre chose qu’un sentiment de désespoir, voire de trahison.
La Carte électorale perdue : devinez la ville à ses urnes
Saurez-vous reconnaître quelle ville se cache derrière les résultats des onze élections présidentielles de la Ve République ? Le principe est simple, la réponse beaucoup moins.
Une règle : on ne cherche que des préfectures ou sous-préfectures. Ce qui nous permet déjà de limiter les réponses possibles, de bien quadriller le territoire et d’avoir des très grandes villes et des toutes petites.
Cette semaine, pas d’indice, je vous laisse à votre réflexion, même si certains éléments peuvent être déroutants.
Une idée de la réponse ? Envoyez-la-moi à blocsetpartis+jeu@gmail.com. Solution bien sûr dans la prochaine newsletter.
La solution du 20 novembre // Dites-vous qu’on est venu me voir - IRL - pour me soutirer des indices. Sachez que je suis restée inflexible. Dans la commune que nous cherchions - celle de Julian Alaphilippe et dont Maurice Papon fut maire - il y avait un léger sur-vote communiste. Pas assez pour un bassin minier, ou la région parisienne. La ville n’est de toute façon pas assez à gauche. Le profil est en fait plutôt rural, ce qui nous amène au principal bastion communiste du genre : le massif central. Vu l’indice, certain·es ont pensé à Vichy - après avoir proposé Laval ! - mais dans l’Allier, le sur-vote Lajoinie aurait sans doute été plus fort. Il fallait remonter plus au nord mais pas trop, Bourges et Vierzon sont nettement plus communistes. Nous étions donc à Saint-Amand-Montrond.
On ne l’arrête plus : Valerio Motta a encore été le plus rapide. Derrière lui ont aussi trouvé la bonne réponse : Antoine Mire, Nicolas Fert, Julien Robin, Paul Stuckle, Arthur Nicolas, Paul Berthelot, Arthur Peregrin, CinqCentSoixanteDixSept, Simon Billouet, Philippe Delepierre et Bruno Carrère Chacun gagne 1 point, et le premier en gagne 2 de plus pour la rapidité. Au classement, Valerio mène largement avec 10 points. 24 personnes ont trouvé au moins une bonne réponse depuis le début, serez-vous la 25e ?
Les données utilisées proviennent du ministère de l’Intérieur et de J. Cagé et T. Piketty (2023) : Une histoire du conflit politique. Élections et inégalités sociales en France, 1789-2022. Le Seuil.
C’est tout pour moi cette semaine. Je vous donne rendez-vous jeudi 18 décembre 2025 pour le sixième épisode de Blocs & Partis, le dernier de l’année.
Électoralement vôtre,
R. G.-V.









Je me permets de glisser un petit complément à cet article passionnant ( et qui m’a d’ailleurs convaincu de m’abonner à votre newsletter !).
Les références au populisme me semblent parfois un peu rapides lorsqu’on parle de la vidéo de Rachida Dati avec les éboueurs (je parle ici des avis de mes confrères spécialistes de com'!). À mes yeux, le modèle rhétorique est moins celui des leaders populistes que effectivement celui incarné par Zohran Mamdani à New York. Évidemment, on insiste souvent sur l’aspect « déguisement » et sur la mise en scène de la tournée avec les services municipaux. Mais le vrai cœur de la séquence, c’est l’interview de l’éboueur, construite sur le même schéma que les vidéos de Mamdani : le politique qui questionne un travailleur sur les difficultés du quotidien (dans la première vidéo de Mamdani : un vendeur halal pour parler du « halalflation »).
Ce qui est intéressant dans cette stratégie, c’est le double registre : à la fois la posture de décideur (« avec moi Paris sera propre ») et la mise à hauteur de l'administratré. Une inversion momentanée des rôles où l’élu devient l’intervieweur, offrant au travailleur une forme d’autorité narrative.
C’est surtout, et depuis l’Antiquité, une question centrale de la rhétorique : comment un responsable politique s’approprie la parole de ceux qu’il prétend représenter (et remporte la bataille de l'attention !).
En accord avec votre analyse sur Dati, en revanche la solution de la suivre sur le chemin du populisme me rappelle celui suivi par le PS qui court derrière la Droite qui court derrière le RN. A ce jeu là tout le monde perd....Je préfère de loin la démarche de Mamdani qui rompt avec le reste.